Évaporation de l'eau présente dans l'or avant la pesée - Reportage orpaillage Guyane - photographe nantes

Mines légales en Guyane : travailler l’or (1/3)

En Guyane, l’or n’est pas une idée. Il dort sous les lits des rivières, remué par les crues, piégé dans les couches sédimentaires. Depuis le début du 19e siècle, l’orpaillage rythme l’intérieur des terres.

Il est assez facile de faire des raccourcis et de confondre entre légal, illégal, artisanal et industriel. Les réalités cohabitent. Les sites déclarés travaillent sous contrôle, avec des équipes réduites et des obligations strictes. . Les clandestins, eux, se cachent, utilisent du mercure et abîment la forêt.

Entre les deux, il y a des vies : des campements, des convois sur les fleuves-frontières, des métiers qui s’apprennent. L’enjeu est simple et complexe à la fois : vivre d’une ressource sans détruire le milieu qui la porte. C’est là que se place ce reportage : regarder de près les petites mines légales en Guyane, leurs gestes, leur méthode, et l’après.

Contexte rapide

Je n’écris pas sur le clandestin. Pas ici. Ce premier volet se concentre sur des sites déclarés, contrôlés, où l’on extrait l’or avec des moyens simples et une vraie exigence de méthode. J’ai mené ce travail en deux phases, avec Delphine Miau, géologue, et mon cousin Raphaël Griffon, joaillier à Nantes. Entamé au printemps 2022 en repérage, et poursuivi début 2023, ce travail m’a tenu deux mois et demi en immersion au cœur de l’Amazonie.

Un autre visage de l’or : les mines légales en Guyane

On parle souvent de mercure, de campements cachés, de filières clandestines. Ce projet s’intéresse ici à tout autre chose : les mines légales en Guyane de petite taille, où l’extraction reste traditionnelle. Basés à Cayenne, nous nous sommes déplacés sur plusieurs sites durant ces deux expéditions.

La première mission, en mars 2022, a servi de repérage : comprendre où travailler et comment raconter. La seconde a consisté à revenir sur les mêmes mines pour faire un travail plus précis, avec les images dont nous avions besoin.

L’objectif était double : montrer concrètement comment on extrait l’or sur ces petites mines, et expliquer comment on remet la forêt en état une fois l’exploitation terminée. La répression de l’orpaillage illégal existe, et j’y reviendrai dans un autre article.

L’extraction de l’or : techniques, étapes, risques

Sur ces sites, l’or est alluvionnaire : charrié par les rivières, il s’est posé en paillettes et petites pépites dans les couches d’alluvions. Les mineurs déposent la terre chargée d’or et de sables noirs sur une table de levée et la lavent à la lance monitor. La densité fait le tri et le métal se piège dans des tapis à mailles fines. L’eau traverse ensuite des bassins de décantation, puis retrouve le cours d’eau, limpide. Le procédé se passe de produits chimiques et obéit à une réglementation stricte.

L’alimentation en eau est assurée par un groupe motopompe vers la table. Avec la météo souvent capricieuse, c’est elle qui fixe la cadence.

Tous les trois à quatre jours, on arrête les lances : c’est la levée. On retire les grilles, on “frappe” les tapis pour récupérer le concentré. C’est la phase la plus vulnérable : l’or devient tangible, exposé aux bandits qui rôdent dans la forêt, armés jusqu’aux dents. Les équipes se hâtent pour réduire la fenêtre de levée. Certaines exploitations ne prennent qu’un concentré grossier sur place, qui sera lavé plus tard, à l’abri du camp.

Au campement, on procède au deuxième lavage, parfois très artisanal (jusqu’à la batée), ou bien sur tables vibrantes quand le site en est équipé. Depuis 2007, la réglementation interdit strictement l’usage du mercure sur les exploitations légales. Polluant notoire, il permet de séparer l’or des autres composants en un temps record.

Je vois déjà venir votre question : mais combien lève-t-on en quatre jours de travail ? Pour vous donner un ordre de grandeur, environ 400 g sur une levée que j’ai suivie dans son intégralité.

La vie de camp : organisation, ambiance, rencontres

La cuisine est une institution dans la vie d’un camp d’orpaillage. La cuisinière, seule femme du campement, nourrit parfois une quinzaine d’hommes. Le menu est souvent unique, composé de poulet, de haricots rouges et de riz. On s’habitue rapidement à ce mets parfumé et nourrissant.

De son côté, le ravitaillement est une opération d’envergure. En effet, circuler en Guyane demande d’être flexible : 97 % du territoire est recouvert par une forêt tropicale humide. Certains devront naviguer des heures sur une pirogue, d’autres seront ballotés sur des pistes de latérite. Et, quand la route est inondée, l’hélicoptère résout les situations plus difficiles. Carburant, filtres, joints, pièces d’usure, vivres, eau : chaque article compte. Un seul oubli, et la semaine part de travers.

Les journées commencent souvent avant l’aube. Chacun prend son poste : prospection, pompes, accès, atelier. L’humidité ronge joints et câbles ; on graisse, resserre, remplace. La pluie ralentit, on réorganise. Le soir, c’est l’heure du compte-rendu, sous le carbet. On fait l’inventaire, charge les batteries, rince les bottes… Pas de grands discours, la fatigue est bien présente. La nuit sera bien méritée.

Le plus beau camp où nous sommes passés reste celui de Petit-Saut. Le lac artificiel, aux rives dentelées, donne à la forêt un air d’ailleurs. Ce camp a une vingtaine d’années. On devine la main d’un amoureux du bois : assemblages propres, passerelles nettes, toits bien posés. À l’aube, la lumière glisse sur le plan d’eau, la brume s’accroche aux troncs, les poules s’ébrouent près de la cuisine. Les moteurs se taisent encore. Une énergie simple se met en place, claire, comme si la journée savait déjà où aller.

Portrait marquant

Haut comme trois pommes, la soixantaine passée, Luis est fermier du côté de Macapá, au Brésil. Son cheptel fait aujourd’hui vivre sa famille confortablement. Pourtant, il aime se retirer six mois de l’année sur la mine.

Toute entreprise qui se respecte aimerait le compter dans ses effectifs. Ingénieur dans l’âme, il invente et fabrique des outils pour gagner en productivité. L’art de savoir faire sans diplômes.

Toute la journée, il coupe, ajuste, renforce. Pas de discours sur le design, il parle de ce qui tient. Beaucoup d’objets ici portent sa signature discrète : une soudure propre, un renfort au bon endroit, une pièce refaite mieux que l’originale.

Lors de notre visite, Luis s’affairait à construire une table vibrante de plus de trois mètres de haut. Aucun plan, pas de hotline pour poser des questions, tout sort de sa tête. Et le plus génial, c’est que ça fonctionne avec brio.

Ce que cette immersion m’a appris

Je repars avec une idée simple : ces petites mines légales en Guyane sont des écosystèmes où l’ingéniosité est une compétence, la propreté une méthode, et la régularité une protection. La légalité n’est pas une case cochée. C’est une trajectoire faite d’ajustements, de preuves à fournir, d’habitudes à corriger.

Je pourrais insister sur la menace diffuse, car oui, nous en avons été témoins indirectement. Je préfère rester au plus près de ce que j’ai vu : des équipes qui travaillent, sans autre promesse que la suivante : faire repartir la chaîne demain. Un camp propre, une pompe qui démarre, une table vibrante bien réglée. L’or, au bout, n’est pas un symbole ; c’est une preuve que tout a tenu, du premier coup de pelle à la dernière passe.

À suivre

La semaine prochaine, je détaillerai la réhabilitation des terrains. Pourquoi l’ordre des couches compte, comment replante-t-on, et qu’ai-je constaté en revenant un an plus tard ?

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